Antoinette Layoun : Une enfant soldat devenue ambassadrice de la paix

Interview réalisée par Florent Lamiaux pour la revue française Prends en de la graine

Il est des rencontres qui vous marquent par la force qu’elles dégagent. Des histoires dont la destinée est à elle seule une leçon d’humanité. Antoinette Layoun fait partie de celles-là. Enfant soldat au Liban, devenue ambassadrice de la paix, cette femme de lumière est devenue thérapeute et maître de Yoga. Elle a récemment remporté au Canada, sa terre d’accueil, le Prix du public pour la paix en 2016. Elle se tourne aujourd’hui vers la parole juste qu’elle distille dans ses enseignements. A travers un parcours hors du commun, c’est une leçon de vie qu’elle offre aujourd’hui.

Avez-vous le sentiment d’être un symbole pour toute une jeunesse en mal de repères dans un monde marqué par certaines dérives sectaires ?

Antoinette Layoun : Un symbole de résilience, oui. S’arrêter et se poser des questions. Se demander pourquoi on choisit de faire telle ou telle chose. Je parle autant des guerres qui éclatent un peu partout sur la planète, que de nos propres vies. Mon parcours m’a amené à me poser ces questions là. Je voulais comprendre comment l’être humain pouvait être un être d’amour, de lumière et d’évolution et tout à la fois capable de décapiter ses semblables. Même les animaux ne tuent pas juste pour le plaisir de tuer. En faisant cette introspection, avant tout pour moi, je voulais me comprendre et comprendre l’humain. J’ai réalisé que la notion de guerre existe en chacun de nous, tant à l’intérieur qu’au cœur de nos relations. La guerre sur terre est un reflet de ce que les êtres humains portent.

Votre enfance au Liban a été marquée par une guerre civile et par la violence. Vous avez le sentiment que l’on est conditionné et que l’on banalise la violence ?

Oui et au même titre que tout conditionnement. On peut parler de violence mais aussi du fait de ne pas se poser de questions. A partir de ce moment là, cela devient très naturel. Un journaliste m’a demandé : « comment devient-on Soldat ? » Je lui ai répondu « Comment devient-on un enfant au sein d’un gang ? ». C’est toujours une question de conditionnement. L’enfant développe un instinct de survie et lorsqu’il se retrouve dans un environnement au cœur  duquel il y a un ennemi qui le conditionne, il a deux choix, se cacher ou faire quelque chose. Il était beaucoup plus douloureux pour moi de me cacher car je vivais beaucoup plus d’insécurité. J’ai alors décidé de suivre l’entrainement des milices. J’étais une enfant et c’était inconscient mais j’ai compris avec le temps que nous étions conditionnés à suivre le mouvement de l’environnement et à subir l’instinct de survie. Dans une guerre civile, il n’y a pas de règle.

Avez-vous vraiment eu le choix de devenir enfant soldat ?

Dans mon environnement, oui, c’était un choix.

Que vous reste-t-il de cette époque là ?

Tout ce que je fais aujourd’hui est en grande partie en lien avec ce que j’ai vécu. Il me reste l’idée de la responsabilité de chaque être humain de se regarder et de se poser des questions. Si nous ne faisons pas cela, nous demeurons dans l’inconscience. Ce que j’ai appris de cette expérience, c’est le besoin d’être au maximum dans la conscience et de m’apercevoir combien nous sommes des êtres instinctifs. L’instinct nous amène à poser des actes sans cœur. L’être humain peut être magnifique et l’animal le plus dangereux sur Terre. Je me regarde toujours, dans mon quotidien, dans mes relations, dans mon intimité avec mes enfants. Chaque jour je m’arrête et je vérifie si je me sens en paix à l’intérieur. Je me pose diverses questions : y’a-t-il une situation, en moi, qui n’est pas claire ? Dois-je clarifier quelque chose en moi ? C’est aussi ce que j’enseigne aujourd’hui.

Vous vous destiniez à être religieuse, pourtant, c’est les mitraillettes et les bombes qui ont été votre quotidien ?

(Rire) Cela montre encore l’incroyable faculté d’adaptation des enfants. J’étais dans un couvent lorsque la guerre a éclaté. On nous demandé de rentrer chez nous. Les sœurs ne pouvaient pas être responsables de tous les enfants.

 Ça a été une véritable déchirure que d’abandonner ce que vous vouliez devenir ?

L’enfant connaît beaucoup plus facilement le lâcher prise que l’adulte. L’adulte est consommé par ses objectifs et ses obstinations. Il est beaucoup plus dans le contrôle que l’enfant. J’avais le sentiment qu’il y avait une réalité qui s’imposait à moi et m’obligeait à m’adapter. Avant cela j’étais déjà une enfant qui se posait des questions. Je me souviens que lorsque j’allais à l’église entendre le prêtre parler de Dieu, j’étais très dérangée lorsqu’il amenait la notion du pêcher, je me disais qu’il ne s’agissait pas du Dieu que je connaissais. Je ne l’imaginais pas dans cette notion de punition. Lorsque j’étais au couvent, le soir, dans le dortoir,  je faisais des sortes de mouvements et de sons avec mes camarades. Et une religieuse n’a pas du tout apprécié. Je n’ai pas compris pas pourquoi il a fallu que j’aille voir la mère supérieure. Elle m’a alors informé que je faisais quelque chose contre la religion qui se rapprochait du Yoga.

Le Yoga c’est votre source de résilience ?

Je ne savais pas du tout ce que c’était. En fait je faisais des mantras et des OM avec les jeunes de mon âge. Je crois que nous avons sur terre un appel tracé qui peut prendre différentes formes. Plus tard, à l’université, j’ai fais de la psychologie. Je voulais comprendre l’être humain. Ensuite la vie m’a amenée à découvrir l’approche yoguique. C’est à ce moment là que j’ai combiné la psychologie et la spiritualité à travers les enseignements profonds du Yoga. Les gens pensent le plus souvent qu’il s’agit de postures. C’est juste 20% du Yoga. En fait il y a beaucoup de psychologie et d’enseignements pour mener à une transformation. Dans le Yoga, il y a beaucoup de transmutation et d’alchimie, mais c’est très peu enseigné. J’ai eu ce privilège d’avoir cette information là. J’ai commencé à transformer mon regard sur la potentialité de l’être humain. A cause de la guerre, je suis devenue très méfiante de l’être humain. En découvrant le fonctionnement de l’être et l’humain, j’ai débuté un chemin de réconciliation avec moi même. C’est alors devenue une quête. Notre vie n’est pas uniquement une survie rivée sur l’intérêt de nos besoins, manger, boire,  avoir un emploi et dormir. Nous sommes beaucoup plus que ça. Lorsque nous sommes à l’écoute de notre corps, il nous donne beaucoup d’informations sur ce qu’il ressent. Chaque émotion a une réaction dans le corps. C’est ce que l’on appelle l’union corps esprit.

Vous êtes arrivée, avec vos parents, au Canada pour sauver votre frère, grièvement blessé. Vous n’avez pas vécu votre immigration comme une libération ?

Non, ce n’était pas une délivrance (rire). A mon arrivée au Canada, j’étais en grande souffrance. Je me sentais lâche de quitter mon pays en guerre. J’ai supplié mon père de me laisser là-bas. Cette séparation était très déchirante. Je pense que j’ai pleuré durant une année. J’avais au départ de grands problèmes de sommeil parce qu’il n’y avait pas le son des bombes et des mitraillettes. Ça m’a pris du temps avant d’accepter.

Ça veut dire qu’on s’habitue à la violence et qu’elle peut même devenir sécurisante d’une certaine manière ?

L’être humain a une capacité incroyable d’absorber son quotidien et son environnement. A 13 ans, je pense que j’avais véritablement un esprit de guerrière. Lâcher cela faisait de moi un traitre.

Quand avez-vous décidé d’aimer cette nouvelle vie ?

Je pense que c’était à l’université. Mon esprit s’ouvrait alors à tout un monde de savoirs et de possibilités. J’étais très impliquée et j’avais une conscience politique. Une femme m’a invité à un rassemblement mondial pour les femmes  qui se déroulait en Suède. Le fait d’avoir vécu ça, m’a ouvert un ensemble incroyable de possibilités pour amener un changement. Je n’étais plus dans la survie mais dans la pulsion de vie. Je suis devenue membre de cette organisation, le women’s international league for peace and freedom (la ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté). J’étais une représentante du Canada et j’avais 22 ans. C’est à partir de là que j’ai compris que ma différence était une force pour faire des choses. Si j’étais restée au Liban, je pense que je ne serais plus en vie aujourd’hui car j’avais vraiment un esprit de kamikaze.

 En même temps c’est ce côté guerrière qui vous a sauvé ?

Bien sûr et c’est ça que j’amène aux personnes. Nous choisissons où nous amenons notre pulsion de vie. L’énergie de la guerre et de la réussite ou de la construction est la même et elle part du même point central. Je parle beaucoup d’alchimie car je pense que l’être humain est là pour porter les situations même celles qui semblent les plus écrasantes. Nous pouvons  être des créateurs qui prenons toutes les philosophies du monde. Pour être capable de ça, nous devons être dans la conscience. Nous créons toujours même dans l’inconscience, sauf que dans ce cas nous n’avons aucune notion de ce que nous pouvons faire. Chaque journée, chaque instant est une possibilité de création. Et la question reste : Qu’est ce que je veux créer pour moi. Habiter cette conscience est une chose magnifique. On nous parle de liberté et pour moi la vraie liberté c’est quitter cette impression que l’on n’est pas libre. Ce n’est pas un système qui nous donne la liberté, ce n’est jamais un événement extérieur à nous, c’est véritablement en habitant cette conscience.

Qu’est ce qui fait que vous êtes passée de la guerrière armée à la guerrière de la paix ?

Dans mon cas ce fut la souffrance. J’étais comprimée entre le paradis et l’enfer, l’idée que l’on n’a pas le choix. Je voulais comprendre cette souffrance et elle m’a amenée à réaliser que c’est un état de désharmonie. Chaque fausse note sert à accorder son instrument pour l’améliorer dans le but de créer une belle symphonie. A cause de la guerre, nous vieillissons vite ; nous ne voyons plus la vie de la même façon. Je voulais devenir une spécialiste de moi-même afin d’accorder ces espaces et c’est ce qui m’a amené à enseigner. Nous pouvons tous créer notre symphonie afin de choisir le paradis ou l’enfer sur Terre.

D’ailleurs, vous citez Socrate « Connais-toi toi même », que connaissez-vous de vous ?

Que c’est un privilège d’être en vie. Je suis une magicienne, mes étudiants me le disent très souvent (Rire). Parce que j’arrive à voir et à montrer la lumière dans toutes choses. Je suis une étudiante de la vie qui prendra des apprentissages jusqu’au dernier souffle. Et puis je me sens tout le temps au service. Tout comme j’ai été guerrière, je suis au service de mon âme et de l’univers.

Quel regard portez vous aujourd’hui sur la Syrie, l’Irak et tous les pays qui vivent un endoctrinement et une violence permanente ?

Le fait juste de me poser cette question me donne envie de pleurer. Je trouve ça inhumain… En fait je ne comprends toujours pas. En 2016, la science et la médecine nous permettent d’aller dans notre ADN pour identifier les traumatismes émotionnels, avec toutes les études sur l’épigénétique, nous pouvons transformer nos cellules, nos gènes, et pourtant l’être humain peut être d’une barbarie féroce à cause de la différence. C’est un contrôle qui traduit de l’insécurité et de la peur. La différence fait peur. Hitler était un homme souffrant mais inconscient. Il est un exemple de la capacité d’un homme à devenir le plus grand criminel. Alors j’essaie de ne pas regarder les informations, ça me touche trop. Que nous n’ayons pas encore atteint l’éveil de la conscience est incompréhensible pour moi. C’est pour ça que je fais ce que je fais. J’essaie de parler plus fort et plus encore. Ca apaise mon impuissance.

 Qu’avez-vous envie de dire aux femmes qui prennent les armes au nom d’une idéologie ?

D’abord que je les comprends. Quand j’étais jeune je demandais à Dieu pourquoi j’étais née femme. En me référant à ce que je voyais autour de moi, être femme était une punition car la femme n’a pas les mêmes positions que les hommes. Mon nom de soldat était « Feu de l’enfer ». Je pensais qu’être soldat était un moyen d’être dans un pouvoir au même titre que les hommes. Et ce nom que je portais était celui que les hommes m’avaient donné. Pourtant la femme a une énorme puissance celle d’enfanter. Je comprends que cette puissance phénoménale a été orientée dans l’histoire de l’humanité dans l’asservissement. J’ai envie de faire comprendre aux femmes que c’est facile de dire qu’elles n’ont pas de place à cause des hommes car c’est à elles d’agir et de « réagir » au même titre que les hommes. Et ces hommes là, ce sont les femmes qui les élèvent. Ce sont souvent elles qui, jusqu’à maintenant, étaient responsables de l’éducation. Nous avons une grande responsabilité. Si nous voulons voir un monde différent, la femme doit vraiment prendre conscience qu’elle a une grande responsabilité dans l’éveil de la conscience. Ce n’est pas à travers les armes que nous allons y arriver mais grâce à l’ouverture du cœur et le courage de rester debout.

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